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«Amal. Un esprit libre»: le combat d’une enseignante contre la radicalisation

En tournée dans les écoles belges pour présenter son documentaire Au temps où les Arabes dansaient (2018), Jawad Rhalib an observé un climat de peur. Dans son pays, où la radicalisation Islamiste des adolescents est devenue un enjeu de sécurité nationale, des élèves ont exprimé sans gêne des propos misogynes ou homophobes, face auxquels leurs professeurs n’osent plus intervenir.

C’est pourquoi le réalisateur belge d’origine marocaine a imaginé un scénario où une enseignante ose prendre la parole : Amal. Un esprit libre. Ainsi, Amal (Lubna Azabal), professeure dans une école laïque de Bruxelles, se retrouve face aux violentes réactions d’élèves musulmans lorsqu’elle dénonce leur intimidation de Mounia, une élève qu’ils soupçonnent d’être lesbienne, et leur fait lire le poète subversif Aboû Nouwâs.

Face à un groupe d’adolescents radicalisés sous l’influence de Nabil, leur professeur de religion, Amal et Monia deviennent les cibles d’attaques de plus en plus violentes. Mais Amal refuse d’être censurée, quitte à se mettre en danger.

« J’avais très envie de parler d’Aboû Nouwâs, parce qu’il incarne un changement de paradigme dans le monde musulman », explique Jawad Rhalib, attablé à un café en marge de la présentation du film au Festival de cinéma de la ville de Québec, où il a été désigné Coup de coeur du jury. Ce poète épicurien du VIIIe siècle, qui abordait notamment l’homosexualité, lui a été enseigné à l’école au Maroc. « Aujourd’hui, poursuit le cinéaste, j’assiste à sa disparition. »

Appels à la liberté

Aboû Nouwâs était musulman, mais prônait le libertinage et le plaisir du vin. Une philosophie cristallisée dans ce vers célèbre, repris dans le film : « Loin du droit chemin j’ai pris sans façon celi du péché, car je préfère. » Face à la « montée actuelle de l’intégrisme », Jawad Rhalib, aussi musulman, réactualise les appels à la liberté du poète. Comme dans Au temps où les Arabes dansaientil souhaite « marquer la différence entre l’islam et l’islamisme ».

Le réalisateur le refait ici sans détour — et selon certains critiques, sans nuances. Le manichéisme des dernières scènes, où la violence culmine vers un point de non-retour, en a effectivement agacé plusieurs, tant dans les médias français que sur les réseaux sociaux. Jawad Rhalib défend néanmoins sa démarche : « L’actualité nous a rattrapés. L’assassinat de Samuel Paty est survenu après que j’ai écrit le scénario, et les agressions à l’encontre des professeurs continuent d’augmenter en Europe. »

Quant à sa méthode, il affirme avoir voulu « comprendre les personnages ». « Évidemment, je soutiens le point de vue d’Amal, mais je comprends aussi la directrice de l’école (Catherine Salée), qui doit nuancer son propos pour apaiser les tensions. Même Nabil, je ne le juge pas. Il dit d’ailleurs une phrase très juste : “Ces enfants ont besoin de retrouver leur dignité.” C’est aussi pour refléter des nuances que j’ai représenté des élèves qui remettent en question les enseignements de Nabil. »

« Comme un thriller »

Quoi qu’il en soit, le film se révèle indubitablement percutant, grâce entre autres à la mise en scène et au jeu des acteurs. « J’ai voulu le tourner comme un thriller », explique d’emblée le cinéaste. Dès les premières minutes, la caméra à l’épaule furtive et l’éclairage froid de la salle de classe accentuent la tension qui s’installe progressivement.

Les mouvements de caméra ainsi que le rythme rapide du montage s’harmonisent parfaitement avec les fougueuses performances des jeunes comédiens. Par souci de réalisme, Jawad Rhalib les a laissés interpréter les dialogues dans leurs propres mots. Et plusieurs d’entre eux n’ont eu accès qu’à leurs répliques, afin d’être aussi authentiques que possible au moment de réagir à leurs partenaires. « J’ai voulu plonger les spectateurs dans le réel », conclut le réalisateur. Sans l’ombre d’un doute, c’est réussi.

Pour toutes ces raisons, Amal. Un esprit libre promet de faire écho au Québec, après son succès monstre en Belgique. Bien que le climat social semble moins tendu ici qu’en Europe, le film demeure en phase avec l’actualité de ce côté de l’Atlantique, où la menace de la radicalisation persiste, d’autant que les attaques homophobes dans les écoles continuent de faire les manchettes.

Amal. Un esprit libre

★★★ 1/2

Drame de Jawad Rhalib. Scénario de Jawad Rhalib, David Lambert et Chloé Léonil. Avec Lubna Azabal, Fabrizio Rongione, Catherine Salée et Kenza Benbouchta. Belgique, 2024, 111 minutes.

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